Ancien Sénateur et Conseiller général, Henri Le Breton, à l’occasion de ses 90 ans, évoque pour Morbihan énergies dont il fut le président, quelques moments de sa vie politique et professionnelle.
Henri Le Breton, président de Morbihan Energies, de 2007 à 2014, vient de fêter ses 90 ans. Le syndicat lui a réservé à cette occasion une petite fête, le mercredi 12 septembre, dans ses locaux Smart Grid de Vannes Luscanen.
Celui qui fut aussi maire de Buléon pendant 55 ans, conseiller général du canton de Saint-Jean-Brevelay de 1961 à 1998, qui a également accompli deux mandats de sénateur et quatre mandats successifs de président de l’association des maires du Morbihan, a joué un rôle de premier plan dans le département.
« Si Henri Le Breton a pu avoir cette exceptionnelle longévité en politique, c’est parce qu’il a su se faire rassembleur », a dit Jo Brohan, président de Morbihan Energies, lors de cette cérémonie.
Elu maire à 24 ans, il est de ces élus qui ont accompagné la transformation du territoire, depuis le goudronnage des chemins de campagne à l’arrivée de la 4 G. A ce titre, et profitant de cet anniversaire, Morbihan Energies a voulu entendre son témoignage.
Vous avez commencé comme instituteur, vous auriez pu devenir officier, mais vous devenez manœuvre, c’était l’après guerre ?
Il y a eu d’abord la guerre. J’étais alors pensionnaire à Lamennais à Ploërmel. On mangeait du pain de maïs et des choux navets. Je suis entré ensuite dans l’enseignement privé à Mauron. J’avais une classe de 50 élèves de la maternelle au CM1.
Ensuite, il y a eu le service militaire?
A Trèves, au 7è Tirailleur algérien. J’ai fait partie de ce qu’on appelait à l’époque, les « troupes d’occupation » en Allemagne. De là, je suis parti à l’école des sous-officiers à Strasbourg, puis des majors à Auvours, et à l’école des officiers de réserve de Coëtquidan, six mois dans la pluie et la boue. Ayant terminé 350è sur ma promotion de 500, je n’ai pas pu partir à l’étranger comme je le souhaitais. J’ai donc quitté l’armée à l’issue de mon service et je suis revenu à la ferme de mes parents ».
Et vous prenez votre vélo pour vous rendre au travail ?
A la ferme, je n’étais pas fait pour ça et j’avais un diplôme de comptable. C’était en 1948, j’avais 21 ans. Impossible de trouver du travail. Je me suis présenté à Lorient à l’entreprise Chemin où je suis devenu manœuvre. J’allais de Buléon à Lorient une fois par semaine à vélo. A Lorient, on était hébergé dans d’anciennes baraques américaines. A l’époque, il fallait quatre mois de salaire pour se payer un vélo et un mois pour se payer une paire de chaussures. Je suis devenu ensuite commis d’architecte chez Flament.
Commence alors une carrière dans l’électricité ?
J’étais depuis 18 mois chez Flament, mon frère m’appelle : « Il y a une place à Ploërmel, à l’Entreprise industrielle ». J’ai été embauché comme dessinateur, puis j’ai été traceur de lignes, chef de chantier, conducteur de travaux adjoint. Fin 1958, l’électrification rurale étant terminée, j’ai été embauché comme commercial à EDF où je suis resté 25 ans.
On vous avait forcé la main pour devenir maire de Buléon ?
Comme j’avais mon bac première partie, j’étais sollicité pour faire des lettres pour les paysans, les syndicats de battage, les mutuelles chevalines. Les élections municipales se profilaient. Je rencontre quelqu’un qui me dit : « Alors c’est toi qui va devenir maire ? ». Grosse a été ma surprise. Je ne voulais pas trop, j’ai fini par dire oui.
Une élection épique ?
Résultat : 8 élus sur ma liste, 7 sur l’autre. Si on ne m’avait pas conseillé de voter pour moi – j’allais voter blanc par esprit civique – le cours de ma vie en aurait été changé. On se serait trouvé à égalité de voix et n’ayant que 24 ans j’étais condamné à perdre au bénéfice de l’âge pour mon concurrent plus âgé.
C’était en 1953, combien d’habitants à cette époque à Buléon ?
617. Il n’y avait pas de chemins ruraux, pas d’eau, peu d’électricité. Le bourg n’était pas aménagé. Il y avait un vieux cimetière. La mairie, ce n’était qu’une seule pièce où il y avait une grande table Le premier travail a été de désenclaver les villages en construisant les chemin ruraux.
Six ans plus tard, vous refusez de rempiler ?
Je ne voulais pas continuer. Une équipe est venue chez moi pour m’en dissuader. Elle n’est repartie qu’à 4 h du matin après que j’eus signé. On avait dû aussi boire quelques coups… Résultat : 8 à 7 encore! Et me voilà parti pour un deuxième mandat. Une fois dans le circuit, on n’en sort plus. D’autant qu’en 1961 on est venu me chercher pour être candidat au conseil général.
Les conseils municipaux avaient lieu entre deux messes ?
J’ai habité Buléon pendant quatre ans. Peu après je me suis marié et mon épouse et moi nous nous sommes installés à Locminé. Les réunions du conseil municipal se tenaient le dimanche. C’était plus pratique. J’arrivais à 7 h pour la première messe en même temps que le crieur public, tandis que d’autres conseillers préféraient la messe de 11 h. Du coup, on se réunissait à 8 h 30-9 h.
Aujourd’hui, les finances des collectivités sont très contraintes, mais à l’époque l’argent manquait plus cruellement ?
La commune n’avait pas de moyens. On pratiquait les emprunts par souscription locale. Les habitants avançaient de l’argent. La date de remboursement se faisait par tirage au sort. On avait une boîte de Bouillons Cubes dans laquelle on mettait les noms des souscripteurs. Et tous les ans, on désignait comme ça ceux qui seraient remboursés. Tout de même, on a pu bénéficier du plan gouvernemental Gouillon pour avoir des prêts du Crédit agricole.
Il fallait être astucieux comme cette idée de clocher château d’eau ?
C’était une idée d’un adjoint. L’église n’avait qu’un clocheton et au bourg, aucun des puits n’était potable. On a donc fait un château d’eau adossé à l’église et que nous avons habillé en forme de clocher. Il y avait des discussions parfois dures, mais j’ai eu la chance d’avoir toujours de bons conseillers municipaux.
Et plus tard, vous avez lancé le terrain à bâtir à 1 euro, déjà à l’époque ?
Et ça a bien marché. La population de Buléon diminuait à vue d’oeil. En milieu rural, il y avait de grandes familles, dont les enfants partaient à l’extérieur.
Vous avez été élu maire neuf fois de rang, ce serait possible aujourd’hui ?
Je ne le pense pas. Les populations ont changé. Pour ma part, j’étais têtu sur les projets et tenace dans la recherche de financement. Il faut vivre à l’écoute, garder la relation avec le terrain. C’est le terrain qui décide.
Vous êtes centriste sans avoir été jamais véritablement encarté ?
J’ai toujours été démocrate chrétien ou social-démocrate, favorable à plus de justice sociale. C’est une réminiscence de la JAC. Au Sénat, j’étais à l’Union centriste à l’entrée, puis à l’UDF avec Giscard, et ensuite indépendant tendance centriste. Je suis en fait anti-partis, les bagarres ne servent à rien.
Et Macron ?
Je suis dubitatif, mais je souhaite qu’il réussisse.
Cela ne vous pas empêché en politique de forcer les portes, notamment en vous déclarant aux législatives de 1978 contre Jean-Charles Cavaillé ?
Alors que Jean-Charles Cavaillé paraissait désigné dans la 4è circonscription, j’ai fait part à Raymond Marcellin, qui était président du conseil général, de mon intention de me présenter, lors d’une inauguration à Monterblanc. Marcellin appelle alors le préfet pour lui demander ce qu’il en pense. Le préfet me répond : « Vous ne ferez pas 7 % ! ». Je lui dit : « Ca me suffit, j’y vais ». 1er tour: grosse surprise, je fais 29.000 voix et des poussières, Cavaillé 31.000.
De la négociation serrée, vous avez obtenu un ticket pour les sénatoriales ?
J’ai accepté de donner mon soutien à Jean-Charles Cavaillé à condition qu’il m’apporte le sien pour les sénatoriales prévues pour 1983. Mais François Mitterrand ayant élu président de la République et ayant dissous l’Assemblée nationale, Raymond Marcellin, qui s’ennuyait au Sénat, a laissé sa place pour se lancer dans la bataille des législatives.
Et vous gagnez la partielle en 1981 ?
Le siège était devenu vacant. Il y avait 6 candidats à droite pour une place et 1.560 grands électeurs. Je suis arrivé en tête au 1er tour devant Duboisbaudray et je l’ai emporté au second avec une majorité de 960 voix. En 1983 et 1992, ma réélection en équipe avec Bonnet et de Rohan n’a pas posé de problème.
La mise à quatre voies de la RN 24 a été un grand sujet de satisfaction ?
Pour faire passer le tronçon Josselin à Baud à quatre voies, il fallait 12.000 véhicules et il n’y en avait que 8.000. L’État ne voulait donc pas engager les travaux sur cette portion. En 1985, François Mitterrand est à Rennes, Lorient et Vannes. Raymond Marcellin me demande : « Que dois-je réclamer à Mitterrand ? Je lui réponds : « La quatre voies sur la 24 tout du long ». Le soir en mairie de Vannes, Mitterrand en fait l’annonce en me regardant d’un sourire. Le nouveau tronçon a été mis en service en 1993.
Vous êtes l’artisan du sauvetage du château de Kerguéhennec, ce qui vous a valu ce clin d’oeil de Jo Brohan le 12 septembre, disant qu’en matière de patrimoine Stéphane Bern pourrait prendre une consultation ?
Je n’ai pas été seul. La chambre d’agriculture et son président, Yves du Halgouët, cherchait un domaine pour la formation de ses jeunes agriculteurs. La comtesse d’Humières cherchait à vendre Kerguéhennec, mais le tout, alors que la chambre d’agriculture n’était intéressée que par les terres agricoles. J’ai fait acheter l’ensemble par le conseil général à un prix raisonnable.
Il a fallu ensuite réhabiliter le château ?
Un travail de 30 ans. J’ai fait classer le domaine. On a pu avoir ainsi des subventions nationales. On a obtenu aussi des fonds européens et de la Région.Sylvie de Kersabiec, conseillère générale de Locminé et Yvonne Sauvet, conseillère générale de Vannes ont joué un grand rôle. Je dois dire que quand le Frac nous a présenté son projet de centre d’art contemporain et lorsque nous avons découvert les projets de sculpture de Marta Pan, j’étais quelque peu sceptique.
Vous avez récidivé avec le manoir Le May à Guéhenno ?
Ce manoir du 15è s. était prêt à tomber. J’ai réussi à en faire passer l’achat au SIVOM. On a acheté la ferme attenante pour donner plus d’ampleur à la propriété et assurer son accessibilité. On l’a fait classer aussi. J’ai toujours attaché de la valeur au patrimoine. Le gros problème, c’est son utilisation.
Le rachat de Kerguéhennec avait tout de même été commenté ?
Marcellin avait racheté Suscinio, alors pourquoi pas Kerguéhennec ? La question a donné lieu en réunion plénière du conseil général à une joute oratoire mémorable entre Yves du Halgouët, qui était pour et le redoutable abbé Laudrin, député-maire de Locminé, qui était contre. J’avais alors placé une petite phrase qui avait fait beaucoup rire l’assemblée : « le clergé et la noblesse débattent devant le tiers-état…
Vous avez commencé à vélo et 30 ans plus tard vous commencez à voyager à travers le monde ?
En 1983, l’Union centriste du Sénat m’a proposé de devenir membre de l’Union parlementaire internationale où je suis resté jusqu’à mon départ en 2001. Ce qui m’a amené à faire de grands déplacements : l’Amérique, l’Afrique, les deux Corées, la Chine, l’Inde… C’était sur des thèmes de travail, comme l’illettrisme, les minerais. Ca m’a valu des rencontres auxquelles je n’aurais jamais pensé : le pape Jean-Paul II, Fidel Castro, l’ancien président Nixon…
Et vous avez présidé Morbihan Energies ?
Quand je suis devenu maire de Buléon en 1953, je suis devenu aussi délégué au syndicat de base d’électrification. Il y avait 21 syndicats de base, plus des communes indépendantes. Le problème a été de pouvoir unifier les tarifs. On a réussi la fusion progressivement en faisant œuvre de persuasion, de patience, grâce aussi aux bonnes relations entretenues. Il n’y avait que quatre syndicats en France comme le nôtre qui regroupaient toutes les communes d’un même département. C’est exceptionnel.
Comment Henri Le Breton occupe-t-il aujourd’hui ses journées ?
Je fais une heure de marche, je lis. Je fais toujours partie de la CFDT en tant que retraité, j’y ai adhéré depuis sa création après avoir été à la CFTC. Je vais au marché à Locminé avec mon épouse ou seul. Et je me suis mis à cuisiner.